Jean KAC

Il est né  le 26 septembre 1934 à Paris [XIVe]
« Fils de Szlama KAC, dit Salomon, et […] Cypra Raca KAC dite Régine. À [sa] naissance, et jusqu’à la fin de la guerre [la famille habitait] un appartement situé au 47 de la rue Descartes à Paris dans le Ve arrondissement.
[Salomon KAC] était tailleur, ouvrier à domicile. Il était le plus jeune de quatre frères, orphelins de père et de mère, tous nés en Pologne à Lodz. Il est arrivé en France en 1926, et s’est marié en 1931 avec [Régine] issue d’une famille de trois sœurs, également originaires de Lodz et également orphelines de leurs deux parents. [Régine a appris le métier de finisseuse et a aidé [son mari] en travaillant à domicile.
Au moment où la Seconde Guerre mondiale fût déclarée, mes parents n’étaient pas encore naturalisés ; mon père s’est engagé comme volontaire dans l’armée et s’est retrouvé dans le 22e régiment de marche des volontaires étrangers. Il est monté en ligne, a fait la campagne de la Somme, et a été fait prisonnier par les Allemands. Il a été interné au stalag 2 B d’où il est revenu à la fin du mois d’août 1945.
Pendant toute la durée de la guerre, ma mère, qui n’avait comme seule ressource que l’allocation distribuée aux femmes de prisonniers de guerre et les économies du foyer, n’a pas quitté Paris.
Nous n’avons pas été inquiétés pendant les rafles de juillet 1942, mais les deux sœurs de maman, leurs époux et leurs enfants ont été emmenés au « Vel’d’Hiv…», puis à Pithiviers pour les uns, Beaune la Rolande pour les autres, d’où ils sont partis en Allemagne pour y mourir.
Du coté de mon père, un de ses frères a été également déporté avec son épouse, ainsi qu’une belle sœur et un neveu. Les deux autres frères sont restés réfugiés en Haute Loire, d’où ils sont revenus à la Libération. Aucune des quatre personnes déportées n’a survécu.
Devant le danger que nous courions, une voisine de l’immeuble dans lequel nous habitions a proposé à ma mère de me trouver un lieu d’accueil si elle le souhaitait. Je suis partie par son intermédiaire d’abord à Marlotte en Seine et Marne dès le mois d’août 1942. je suis revenu à Paris après quelques mois. J’ai repris l’école jusqu’au moment où, courant 43, un « contrôle d’identité» a été opéré à notre domicile, en fin d’après-midi par la police française, ma mère a alors été emmenée au commissariat de police de la place du Panthéon pour ce contrôle mais d’où elle est revenue en grande partie grâce à l’aide de la femme d’un commissaire qu’elle connaissait. Après cet épisode, nous n’avons plus couché dans notre appartement.
Par le truchement de cette même voisine, j’ai été éloigné de Paris et suis allé poursuivre ma scolarité à l’annexe du collège Sainte Barbe à Fontenay-sous-bois en tant qu’interne. Je suis resté quelque mois dans cet établissement, mais j’avais de grandes difficultés à m’habituer à cette vie d’interne de collège. Ma mère était tenue au courant par la même personne et souhaitait une autre solution.
Lorsque je suis revenu après un trimestre, nous avons été mis en contact avec une personne du nom de Madame MATHON demeurant au 28 de la rue Vauquelin à Paris Ve.
C’est cette femme qui connaissait l’action du père DEVAUX qui œuvrait avec l’aide de la congrégation de Notre Dame de Sion.
Peu de temps après, ma mère et madame MATHON s’étant mis d’accord, en particulier sur le désir de ma mère de me voir attribuer un faux nom, on m’a emmené rue N.D des Champs, au couvent de N.D. de Sion où je suis resté une nuit. De là, j’ai été accompagné à la gare Montparnasse et j’y ai retrouvé un groupe d’enfants ainsi que le père DEVAUX. Mon nom était devenu Jean MOREAU. Après un changement au Mans, notre groupe est descendu en gare d’Ecommoy. Nous avons été alors recueillis par un homme, monsieur LANDEAU (qui avec sa famille se sont déjà vus attribuer la médaille des justes du Yad Vashem). Nous avons été conduits en carriole dans une maison isolée, en pleine forêt sur la commune d’Yvré-le-Pôlin. Après une nuit passée dans cette maison, au milieu d’autres enfants et d’adultes en transit, monsieur LANDEAU nous a emmenés en carriole au village de Requeil [Sarthe]. En cours de route, il a déposé deux ou trois autres enfants dans des maisons d’accueil et une petite fille du nom de Simone KHALIFA et moi-même sommes descendu en dernier.
Nous étions arrivés à « Bel Air» la ferme de la famille DUPUY. Il y avait là monsieur et madame DUPUY et une petite fille de l’Assistance publique du nom de Mireille. Leur fille ainée, Germaine, épouse CHEVRIEUX venait d’accoucher d’un petit garçon Didier c’est dans cette famille que j’étais attendu. Leur fille cadette Georgette vivait et travaillait au Mans. En attendant le retour au domicile de Madame CHEVRIEUX et une température plus clémente (il faisait froid en ce mois de février 44) je suis demeuré chez les DUPUY deux ou trois semaines, après lesquelles j’ai intégré « le Mélier» en même temps que le reste de la famille, tandis que la petite Simone restait chez les DUPUY.
Mon séjour au Mélier a duré jusqu’à la libération de Paris. Ma mère, est venue me chercher les premiers jours de septembre 1944. Simone est repartie plus tôt que moi et personne n’en a plus entendu parler : départ en Israël, ou aux USA tout est possible…
Pendant la période de février à septembre, j’ai mené une vie normale. J’ai été inscrit rapidement à l’école du village où je suis allé jusqu’aux vacances scolaires du 14 juillet. Je n’ai manqué de rien. Mes repas étaient identiques à ceux de la famille et je disposais d’une chambre. Je n’ai guère été malade, en dehors d’une poussée d’érysipèle sur le visage et pour laquelle je suis allée voir un médecin dans le village voisin à la demande de Germaine.
Les DUPUY, et leur autre fille Georgette la cadette, mais surtout Germaine CHEVRIEUX et son époux Gilbert m’ont témoigné attention et affection et traité comme un membre de leur famille. La raison de ma présence chez eux était expliquée pour le voisinage, comme le recueil d’un enfant de Paris afin de lui éviter les affres des privations et des bombardements.
Le problème financier n’avait jamais été abordé en ma présence, et ce n’est qu’après la guerre que j’ai appris qu’une petite somme d’argent était versée régulièrement par ma mère à madame de MATHON qui la retournait à N.D. de Sion. Cet argent était sans doute versé à la famille d’accueil afin de les indemniser fort modestement de leurs frais. Ces sommes ne représentent à mes yeux qu’une petite compensation pour les dépenses matérielles et sans commune mesure avec le risque encouru par toute la famille en cas de dénonciation qui aurait à coup sûr entraîné arrestation, emprisonnement et probablement déportation. Il y avait dans le village et aux alentours plusieurs unités allemandes dont une à moins de cinq cents mètres stationnée au château de la Roche Mailly.
Une fois revenus à Paris, mes parents puis moi-même avons gardé des relations jusqu’à ce jour avec ma famille d’accueil et la famille DUPUY. Après le retour de mon père de captivité fin août 45, nous sommes revenus durant l’été 46 pour les vacances et avons logé chez la famille DUPUY à Bel Air. Quelques années plus tard, ma mère ayant été souffrante, est venue se reposer également chez les DUPUY. Nos relations n’ont jamais été interrompues, mais sont devenues essentiellement épistolaires : cartes postales de vacances, vœux de fin d’année ou annonces des événements familiaux (mariages, naissances, décès) les visites dans la Sarthe, elles ont cessé pendant près de vingt ans et cela sans autre raison que le temps qui passe, la vie professionnelle, les nouveaux amis etc…
Nous avons repris des contacts personnels, il y a une quinzaine d’années. Monsieur et madame DUPUY étaient décédés, mais j’ai revu la famille CHEVRIEUX et la sœur cadette Georgette qui lors de ses passages à Requeil (elle travaillait au Mans) me témoignait toujours une grande affection. Depuis nos relations ne se sont jamais interrompues.
Quelle est la raison pour laquelle j’ai attendu pour témoigner ? Elle n’est certainement pas unique, mais correspond à un mélange de raisons, au demeurant fort confuses. Je pense qu’il y a eu quelque part une volonté d’oublier cette période, sans autant oublier les personnes et le courage dont elles ont fait preuve de façon consciente ou non. Il y a eu aussi de ma part une grande part d’ignorance, car j’étais persuadé (à tort) que ne pouvaient bénéficier de cette reconnaissance et du titre de « Juste parmi les Nations», que des groupes, des personnes morales et leurs représentants, des organismes qui pouvaient apporter la preuve de leur action salvatrice, et cela, au bénéfice de plusieurs personnes. Ce fut d’ailleurs le cas du Père DEVAUX et ensuite de la famille LANDEAU» (Le sauvetage des enfants juifs en Sarthe (1940-1945) Céline Rattier Baptiste )
Les familles CHEVRIEUX et DUPUY ont été reconnus Justes parmi les Nations le 4 novembre 2004
L’article sur les familles CHEVRIEUX et DUPUY (Comité Français pour Yad Vashem)
Il a publié son récit en 2007 sous le titre « Tu t’appelleras Jean MOREAU »
Il a témoigné le 6 juin 2019 devant les élèves du lycée Nazareth de Ruillé-sur-Loir
L’article « Jean KAC, enfant caché témoigne » du 10 juin 2019 (up-nazareth.com)